Décret Tertiaire et Gestions d’actifs immobiliers : Respecter la première échéance et intégrer cette nouvelle exigence réglementaire à la gestion d’actif

L’échéance 2021 s’est simplifiée, mais elle se rapproche !

Au 30/09/2021, les bâtiments tertiaires de plus de 1 000m² de surface de plancher auront dû satisfaire la première échéance du Dispositif Eco Energie Tertiaire (DEET – Ex Décret Tertiaire) à savoir leur initialisation sur la plateforme gouvernementale OPERAT. Exit la sélection de la période de référence, repoussée à septembre 2022 au plus tard. La première échéance comprend alors :

  • La création « administrative » des bâtiments assujettis et donc des acteurs impactés ;
  • Le descriptif des bâtiments assujettis (Typologie, Surface, lots, Points de livraison, …) ;
  • Les consommations d’énergie de l’année 2020 et l’intensité d’usage associée.

Bien que connue depuis un certain temps, depuis la publication du décret, cette première échéance effraie, pour les raisons suivantes :

  • L’incertitude sur la plateforme OPERAT mise en place :
    • Qui remplit quoi ?
    • Qui est responsable de quoi ?
    • Comment éviter les multiples déclarations ?
  • Comment récupérer les données demandées ?
  • Comment traiter les nombreux cas particuliers de l’immobilier tertiaire (Copropriété et syndic, mono /multi location, AFUL, ASL, centres commerciaux, vacances, …)
  • Qui est obligé ? Dois-je agir pour le compte de mon locataire ? …
  • Mes baux sont-ils assez solides pour intégrer cette démarche ?
  • Comment intégrer la démarche aux autres enjeux réglementaires (Annexes environnementales au bail, Audit énergétique réglementaire, labellisation ISR, Reportng Extra Financier, …) ?

Ajoutée au contexte 2020 et 2021 très particulier pouvant risquer de tendre notamment les relations bailleurs preneurs, la première déclaration de septembre 2021 s’annonce sportive !

Comment préparer la première déclaration du décret

Le texte à proprement parlé est une obligation de résultat. Il laisse finalement la porte grande ouverte à la méthode employée tant qu’à l’horizon 2030 (puis 2040 et 2050) l’objectif est atteint, de manière fiable et vérifiable.

Pour cela, le législateur fournit l’outil de pilotage de la performance réglementaire OPERAT (Administré par l’ADEME et dont l’ensemble des fonctionnalités n’est pas encore disponible), répertoriant notamment pour chacun des bâtiments :

  • La performance énergétique réelle pour chaque année (à partir de 2020) ;
  • L’intensité d’usage réelle pour chaque année (à partir de 2020) ;
  • La performance énergétique réelle de référence (prise entre 2010 et 2019)
  • L’intensité d’usage de référence.

L’échéance 2021 portant sur le reporting de l’année 2020, elle impose au préalable :

  • La déclaration des bâtiments et lots assujettis sur OPERAT ;
  • La quantification de la performance énergétique réelle de l’année 2020 et de l’intensité d’usage associée.

Afin de répondre à cette première déclaration, il convient alors de respecter les étapes suivantes :

Les 2 premières étapes « individuelles »

  • Délimiter le périmètre « physique » assujetti : le premier assujetti étant le bâtiment, il convient de retenir que quel que soit le locataire, dès lors qu’il héberge plus de 1 000 m² de surface tertiaire, le bâtiment complet est concerné
  • Délimiter le périmètre fonctionnel assujetti : ce bâtiment étant assujetti, quelles sont les parties prenantes liées à ce bâtiment en 2020 ?

L’étape de clarification des responsabilités :

  • Rencontrer et acter les parties prenantes pour valider une stratégie de réponse à l’échelle du bâtiment :
    • Qui déclare le bâtiment initialement ?
    • Qui déclare les entités ?
    • Qui remplit les informations ?
  • Clarifier les flux de données échangées

Une fois l’ensemble des éléments et leurs origines clarifiés, il convient de réaliser une cartographie des données, l’objectif est de réaliser une collecte des données énergétiques aussi complète que possible afin de :

  • Collecter les données énergétiques 2020 ;
  • Identifier et mettre en place les flux d’échanges de données ;
  • Selon les responsabilités actées, remplir vos données sur OPERAT.

A tire d’exemple, pour un patrimoine de 30 Sites dont l’extrait du mapping des informations est donné ci-après, l’étape de collecte des informations a été réalisé comme suit :

  • Initialisation du périmètre suivi avec la société de gestion ;
  • Consolidation du périmètre énergétique (listing des compteurs) avec les différents property managers ;
  • Lancement de la collecte des informations auprès des parties prenantes :
    • PM et syndics : Factures historiques, mandat de collecte automatisée, contact locataire ;
    • Locataires : Factures historiques, mandat de collecte automatisée, organisation locataire pour réponse au décret ;

Les phases de relances et de sensibilisation des locataires est une étape conjointe avec les PM.

L’échange avec chacune des parties permet de valider ou non l’automatisation de la collecte et de collecter les éléments nécessaires et suffisants au reporting 2020.

Figure 1 – Mapping des données énergétiques et validation des flux de données
Figure 1 – Mapping des données énergétiques et validation des flux de données

Préparer la 2nde échéance du décret et cadrer le pilotage de la démarche

Que ce soit par bâtiment, par lot ou par patrimoine, le décret tertiaire impose aux acteurs une vision de long terme qu’il convient de clarifier et cadrer pour en faire un levier stratégique fort. Par bâtiment, répondre au décret tertiaire revient à :
  • Définir la situation initiale ;
  • Evaluer le chemin restant à parcourir ;
  • Piloter les échéances intermédiaires et intégrer la démarche à la gestion courante

1.1 Définir d’où l’on part

Cela revient à répondre au texte sur la notion de consommation de référence. Prise sur une période de 12 mois consécutifs à partir de 2010, la seule exigence est qu’elle soit fiable et vérifiable. Essentielle mais couteuse en temps, la collecte de données énergétiques historiques est indispensable pour permettre une analyse globale de la performance. En cherchant à remonter dans le temps, la sélection de l’année de référence et de sa consommation associée est guidée par :
  • La disponibilité des données vs. la difficulté à les obtenir ;
  • Le chemin déjà parcouru qu’il serait intéressant de valoriser.
En associant l’ensemble des parties prenantes à la démarche, par bâtiment, l’objectif est la réalisation d’un mapping énergétique des données fiables, source de l’évaluation énergétique à mener pour sélectionner le point de départ idéal.

1.2 Evaluer le chemin restant à parcourir

La validation de la consommation de référence ayant été repoussée à septembre 2022, les acteurs disposent de plus de temps pour remonter le temps et évaluer la performance énergétique historique des assujettis. Ainsi, il convient donc pour chaque bâtiment d’évaluer la trajectoire énergétique de chaque actif vers chaque typologie d’objectifs possible afin d’identifier la trajectoire optimale à suivre. Celle-ci se définie alors par :
  • Le gisement d’économie énergétique restant à réaliser pour atteindre l’un ou l’autre des objectifs ;
  • L’impact financier du déploiement des actions d’améliorations au regard de la performance financière du bâtiment ;
  • La planification prévisionnelle d’améliorations « au bon moment ».
Evaluer le couple point de départ / Chemin à parcourir revient à définir actif/actif la période de référence et sa consommaiton associée ainsi que l’objectif à atteindre. Ainsi, on présente ci-dessous schématiquement les résultats pour un actif de bureaux/adminstration publique comment la trajectoire est obtenue. A partir de la collecte des données énergétiques historiques, il convient de :
  • Evaluer la performance énergétique initiale des années 2017, 2018 et 2019 en considérant l’impact climatique ;
  • Identifier les 2 stratégies possibles :
    • Stratégie 40 % :
      • Année la plus énergivore : 2017 ;
      • Reste à parcourir pour atteindre -40% : 31% à partir de 2019 ;
    • Stratégie seuil :
      • Evaluation du seuil selon les indicateurs du Site : 114 kWhef/m²
      • Reste à parcourir pour atteindre le seuil : 11% à partir de 2019 (et même 9% si on se base sur la performance 2018)
Figure 2 – Evaluation des trajectoires énergétiques possibles
Figure 2 – Evaluation des trajectoires énergétiques possibles
Stratégiquement pour cet actif, il est donc préférable de déclarer l’année de référence et la consommation associée à 2017 et de guider les plans pluriannuels afin d’atteindre l’objectif seuil, ne se trouvant qu’à environ 10% de la performance actuelle constatée. Par ailleurs, et dans ce cas précis, la donnée 2017 est fiable car basée sur facture et vérifiée par audit énergétique, mais dans le cas contraire il conviendrait de sélectionner 2018 ou 2019 comme référence si celles-ci étaient plus fiables. L’atteinte du seuil plutôt que l’objectif à -40% restera là encore le plus réaliste et faisable. Sur cette base de trajectoire validée, nous agirons par la suite pour consolider des plans pluriannuels adaptés aux ambitions. Etant proche de l’objectif seuil, et ayant déjà subi une rénovation lourde, l’actif se verra optimisé vraisemblablement via :
  • Des actions de sensibilisation auprès des occupants (aux bonnes pratiques mais aussi à la compréhension du fonctionnement de leur bâtiment) ;
  • Des actions de pilotage et d’optimisation des programmations et régulations ;
  • Du remplacement d’équipement léger.

1.3 Piloter les échéances intermédiaires

Le Dispositif Eco Energie Tertiaire étant une échéance de temps long, le législateur cherche à s’assurer autant que possible que la feuille de route est intégrée par les différents acteurs et que les objectifs seront atteints. Si OPERAT est l’outil légal de suivi, de nombreux nouveaux acteurs du suivi énergétique en ligne sont apparus avec cette nouvelle obligation : les plateformes de suivi énergétique en ligne. Quelles que soient les technologies employées pour récupérer automatiquement les données énergétiques (et parfois autre) elles promettent toutes de faire gagner un temps certain dans l’administration et le pilotage du reporting annuel. Afin de réussir leur déploiement sur tout ou partie d’un patrimoine immobilier, il convient tout de même de répondre à quelques questions préalables :
  • Sans le décret tertiaire, aurais-je eu besoin de collecter automatiquement (autant que possible tout du moins) des données énergétiques sur mon patrimoine ? Si oui, dans quel cadre et sur quel périmètre ?
  • Une fois déployé, qui utilisera l’outil et à quelle fréquence ?
  • Quelles sont les fonctionnalités indispensables que l’outil se devra d’avoir ?
En répondant à ces questions, le cadre de déploiement de l’outil s’éclaircit. Il convient alors pour ce dernier d’identifier :
  • Où récupérer la donnée énergétique :
    • Là où elle est mesurée (sur les compteurs existants ou à poser) ;
    • Là où la mesure est traitée (chez les distributeurs d’énergie ou sur les outils de suivi énergétique in Situ) ;
    • Là où elle est facturée (chez les fournisseurs d’énergie) ;
    • Là où elle a été post traitée (généralement par les équipes de maintenance).
  • Sur quel périmètre :
    • Consommations dont je suis responsable uniquement ;
    • Consommations du bâtiment assujetti entièrement ;
  • Par quel moyen récupérer ces éléments :
    • En instrumentant in Situ avec des compteurs et objets connectés
    • En captant l’existant (Flux de factures, flux des distributeurs, comptage in Situ déjà en place, …)
  • Si les relations contractuelles existantes sont assez robustes pour déployer sans difficulté.
Enfin, même bien cadré, le déploiement de ces outils nécessite du temps et des ressources humaines non négligeables pour s’assurer in fine, de disposer des éléments nécessaires et suffisants au pilotage des échéances intermédiaires (et finales) du décret.  

Une démarche décret tertiaire intégrée à la gestion d’actifs immobiliers

Figure 3 – Intégrer la démarche décret tertiaire à la stratégie de rénovation des immeubles
Figure 3 – Intégrer la démarche décret tertiaire à la stratégie de rénovation des immeubles

Le bail, enjeu majeur de l’intégration de cette nouvelle exigence réglementaire

Se servir du bail pour cadrer les responsabilités

S’il y avait un préalable à retenir du texte, c’est l’entente à avoir entre preneur et bailleur dans l’administration et le suivi de la démarche décret tertiaire. Volontairement, le législateur implique les 2 parties dans la démarche, selon leur lien contractuel, afin de disposer d’un maximum de ressources pour atteindre les objectifs.

La révision des baux et l’intégration d’éléments clés nécessaires à la compréhension et aux enjeux du décret tertiaire qui pèsent sur l’actif en question devient donc une priorité pour lever les freins contractuels ralentissant la mise en place d’une démarche cohérente et fiable.

A terme, il conviendra de préciser au bail :

  • La performance de référence de l’actif ;
  • L’objectif visé ;
  • Les modalités d’échanges d’informations ;
  • Les périmètres de responsabilités.

Ces éléments clés permettront de juger de la performance et donc de l’attractivité de l’actif, les risques éventuels pour les parties, etc…

Appliquer plus largement l’annexe environnementale

Finalement, impliquer le preneur à bail et l’ensemble des parties prenantes à la démarche, c’est appliquer les principes de l’annexe environnementale au bail, obligatoire pour tous les baux commerciaux > 2000 m².

Principal moment d’échange, le comité vert annuel (ou comité de suivi) dans le cadre du suivi des annexes environnementales est un outil puissant et très utile lorsqu’il s’applique aux différentes étapes d’une démarche décret tertiaire :

  • A l’initialisation, pour collecter les mandats, les consommations d’énergie, définir les responsabilités de reporting, …
  • Au moment de la définition de la stratégie décret tertiaire, le comité vert est le parfait moyen pour présenter la stratégie à suivre et se répartir les taches ;
  • En période courante, il permet de faire de ce comité un point d’étape de suivi de la performance réelle de chaque actif, d’identifier les points bloquants et d’enclencher des actions pérennes et adaptées à chaque acteur.

Intégrer les exigences du décret tertiaire aux stratégies de rénovation des actifs

La vie des actifs immobiliers est rythmée entre les phases d’occupation et de vacances.

Ces dernières, si elles sont bien anticipées et conformes à la stratégie immobilière, sont souvent l’occasion de travailler de manière plus profonde sur l’actif pour en améliorer l’attractivité. Etant donné les enjeux énergétiques du décret, il conviendra donc de travailler en amont les scénarii de rénovation envisagés afin d’y apporter une « conformité décret tertiaire » sécurisante pour le bailleur et attractive pour les potentiels futurs preneurs.

De nombreux outils sont alors déployables pour ficeler au mieux le scénario et fournir des éléments d’attractivité clé :

  • L’évaluation énergétique pré travaux, figeant la performance énergétique à date, selon les conditions d’occupation de l’instant t. Elle permet de valider la situation pré travaux et d’identifier l’ensemble des leviers d’améliorations déclenchables ;
  • L’analyse énergétique décret tertiaire de la rénovation. Elle permet d’évaluer la performance intrinsèque du scénario ;
  • Le commissionnement de performance. Plébiscité dans les démarches de certifications, le commissionnement fixe les performances à atteindre, s’assure de la conformité du projet vis-à-vis des objectifs lors des différentes phases et notamment lors des arbitrages, et valide en réception les performances atteintes ;
  • L’évaluation des charges d’exploitation, simulant l’impact financier sur l’exploitation du bâtiment des rénovations. Les coûts de l’énergie étant volatiles, il convient de fournir aux futurs preneurs des éléments probants pour juger de la performance financière en plus d’une performance énergétique.

Ces éléments visent tous à répondre au besoin de performance attestée, qu’elle soit énergétique ou financière et à rapprocher autant que possible la performance énergétique « réglementaire » (historiquement évaluée via les études RT notamment) à la performance énergétique réelle.

Finalement, pour contrer un taux de renouvellement du parc immobilier trop faible pour répondre à l’urgence climatique, le texte répond aux besoins de faire tendre la performance du parc existant vers la performance du patrimoine neuf, bientôt construit sous RE 2020 ; qui plus est en travaillant sur de la performance attestée et réelle et non plus uniquement intrinsèque et réglementaire.

Si la première échéance cristallise aujourd’hui l’attention notamment vis-à-vis de la disponibilité de l’outil gouvernemental OPERAT, elle a le mérite de structurer les reportings énergétiques des différents acteurs afin de leur donner les clés pour piloter la démarche. Pour faire de cette contrainte réglementaire un levier de performance, il conviendra d’identifier l’ensemble des démarches connexes profitant de ces données fiabilisées.

Les reportings extra financier, les démarches de certifications des bâtiments, les campagnes d’audits énergétiques réglementaires, les évaluations d’impact climatique des activités immobilières sont autant de sujets dont la consommation énergétique (et fluide) est une donnée d’entrée indispensable dont l’origine et la fiabilité sont essentielles pour s’assurer d’analyses et de résultats probants à l’avenir.