Quand l’acoustique tend l’oreille à la biodiversité.

Quand l’acoustique tend l’oreille à la biodiversité.

A l’ombre des enjeux du dérèglement climatique, un sujet  bien moins médiatique que le réchauffement de notre planète pourrait pourtant faire grand bruit. Il s’agît de l’état sonore de notre planète et en particulier du monde du vivant. Le silence sur la Terre n’existe pas ; constamment le bruit se fait entendre.

Parfois source de gêne, le bruit est avant tout vecteur d’informations aussi surprenantes que variées. Les oiseaux chantent, les vagues clapotent, les feuilles bruissent… rien de nouveau sous le soleil et pourtant ! 

Le développement de la Bioacoustique, initié notamment par Bernie Krause dans les années 1960, a permis de mettre en évidence l’activité acoustique de milliers d’espèces animales.

Outre cette richesse sonore du monde animal, ses travaux et ceux de ses successeurs, ont permis de montrer à quel point les activités humaines ont endommagé les écosystèmes existants.

Table des matières

soundscape ou paysages sonores

Conceptualisé entre autres par M. Schafer et B. Krause, la notion de « soundscape » (que l’on peut traduire par « paysages sonores ») regroupe à la fois les sons provenant d’éléments abiotiques, c’est-à-dire tout élément non imputé à un être vivant, tel que le vent (la géophonie), les activités sonores d’origines humaines (l’anthropophonie) et les sons propres à la faune et la flore (la biophonie).

Anthropophonie : la naissance d'un nouvel espace sonore avec l'avènement de l'anthropocène

Une nouvelle phase géologique

Le terme « Anthropocène » apparait dès l’année 2000 lorsque le biologiste américain Eugène F. Stoermer et le chimiste Josef Crutzen évoquent pour la première fois l’Anthropocène comme une nouvelle phase géologique qui apparaitrait avec le début de la révolution industrielle du XIXème siècle. Depuis près de 12 000 ans, l’Homme, tel que nous le connaissons, évoluait dans l’époque de l’Holocène et faisait partie, d’un point de vue acoustique, d’une catégorie imbriquée dans la biophonie : l’Anthropophonie (les sons d’origine humaine).

Avec l’apparition de l’Homme, la place de la géophonie et de la biophonie est modifiée dans le paysage sonore. La biophonie est déjà particulièrement riche avec une multitude d’organismes vivants vocalisateurs. Selon Q. Arnoux dans son livre Ecouter l’Anthropocène, « la relation initiale que l’être humain développe avec les paysages sonores est une relation d’adaptation, d’écoute et d’inspiration ».

Krause décrivait les liens acoustiques entre l’apparition sonore de l’espèce humaine avec les paysages sonores déjà en place comme : « Le processus interactif élaboré par lequel chaque voix animale trouvait une fréquence ou une plage horaire disponible n’a certainement pas échappé à l’esprit méthodique de nos ancêtres. Il a dû servir de modèle à partir duquel arranger nos propres sons, former notre voix et nos premiers instruments ».

De nouvelles productions acoustiques

Chaque espèce vocalisatrice (l’Homme y compris) se partage alors un très large spectre sonore, bien plus étendu que les performances de l’oreille humaine. Mais l’Homme, de par son évolution, se met à créer de nouveaux sons qui ne résultent plus de sa propre vocalisation par un système d’onomatopées comme le décrivait B. Krause, mais de sa propre activité au sens large. Le langage et la musique devenant une identification acoustique propre à l’être humain, l’Anthropophonie devient alors une composante à part entière du paysage sonore terrestre.

Avec le début de l’ère Industrielle et la croissance moderniste constante des civilisations occidentales, les sons d’origines mécaniques sont de plus en plus présents sur Terre. Cette nouvelle production acoustique n’est pas seulement une composante de plus dans le paysage sonore, elle s’impose de par son intensité et sa durée ; masquant alors de nombreuses couches acoustiques. L’apparition de cette nouvelle couche acoustique, souvent décrite comme de la « pollution sonore », se nomme la Technophonie. Les avions, les trains, les industries, les outils mécaniques, etc… forment une couche sonore qui empiètent au gré de la croissance industrielle de l’homme sur la Biophonie ainsi que sur l’Anthropophonie.

Anthropophonie, biophonie et technophonie

Les sujets liés à la pollution sonore sont depuis seulement quelques années pris en compte dans les mesures de protection des populations. Mais ces considérations ne sont qu’une vision Anthropocentrée de la pollution sonore ; tout être vivant est impacté par la pollution sonore par de multiples effets.

La pollution sonore, notamment par son intensité, fait fuir les espèces présentes dans un milieu exposé. Lorsque les espèces ne fuient pas, elles doivent s’adapter à un nouveau paysage sonore.

Prenons l’exemple des passereaux exposés à de forts bruits de trafic routier, ces derniers devront pour survivre dans le milieu augmenter leur volume sonore de vocalisation ainsi que les périodes d’émissions associées.

La conséquence de cette adaptation forcée est une dépense d’énergie supplémentaire du passereau, entraînant un épuisement prématuré et par conséquent une diminution accélérée de la population dans le milieu.

Fréquence sonore perçue par les espèces animales

Les activités humaines, d’un point de vue acoustique, n’émettent pas que des fréquences audibles par l’homme : les sonars des sous-marins émettent des ultrasons perturbant la communication d’une partie des cétacés, les bruits de trafic routier impactent un grand nombre d’espèces sur un large spectre également audible par l’homme, les activités de forage qui émettent de nombreux infrasons, etc…

La pollution est donc l’affaire de tout être vivant !  

BioAcoustique et EcoAcoustique : de quoi s'agit-il ?

Par abus de langage, on qualifie souvent de bioacoustique l’étude de la biodiversité par le prisme du son. Mais cela est plus complexe, et il faut s’attacher à distinguer deux notions : la bioacoustique et l’éco-acoustique.

La bioacoustique

La bioacoustique, qui tire ses origines des premiers enregistrements d’oiseaux dans les travaux de L.K. Koch à la fin du XIXème siècle, étudie le comportement sonore des espèces animales, autrement appelé biophonie. Elle se focalise principalement sur l’étude des signaux sonores enregistrés d’espèces animales afin de décrypter les informations comportementales et sociales de la faune. Cette discipline s’est d’ailleurs développée au même rythme que les moyens technologiques, notamment informatiques.

L’étude des signaux sonores demande de nombreuses ressources et capacités matérielles : microphones, stockage, puissance de calculs, etc… Cette discipline s’attache exclusivement à l’étude de la signature sonore d’un animal et de l’information que le signal sonore véhicule. Elle étudie les mécanismes sonores propres aux différents organismes vivants, notamment leur résilience et l’adaptation des espèces face aux changements des conditions de leur milieu ; dont le changement climatique.

L’éco-acoustique

L’éco-acoustique est quant à elle une discipline bien plus récente et initiée principalement par les travaux de Bernie Krause. Contrairement à la bioacoustique qui s’attarde à l’étude individuelle d’une espèce, l’éco-acoustique possède une vision bien plus macroscopique en enregistrant et analysant l’activité sonore d’un biome.

En effectuant le sonagramme d’un enregistrement d’un écosystème, nous pouvons analyser la signature acoustique des différentes espèces présentes dans le milieu. Cette méthode, réalisée jusqu’alors de manière empirique, peut désormais se réaliser par « automatisation » à l’aide d’outil de machine learning et ainsi identifier l’ensemble des espèces présentes dans un (ou plusieurs) enregistrement(s).

L’éco-acoustique considère donc le son comme une composante à part entière des caractéristiques d’un milieu et devient de facto un indicateur environnemental pour le suivi de la biodiversité.

L'éco-acoustique, un outil redoutable pour étudier la Biodiversité

L'éco-acoustique, un outil redoutable pour étudier la Biodiversité

Dans la conscience collective, nous constatons le changement climatique par le seul prisme de la vision : la banquise fond, les inondations sont de plus en plus récurrentes, les tempêtes toujours plus dévastatrices, etc.

Mais le changement climatique ainsi que l’érosion de la biodiversité seraient-ils également audibles ? C’est là toute l’importance de l’éco-acoustique.   

L’objectif principal de cette discipline est de caractériser la richesse sonore d’un milieu à l’échelle non pas de l’individu mais d’une espèce ou bien encore d’un groupement d’espèces.

La fragmentation écologique

Les technologies actuelles permettent désormais de capter un spectre sonore plus large que l’ouïe humaine et d’acquérir des dizaines de milliers d’heures d’enregistrements. Il faut alors analyser l’ensemble de ces informations, notamment grâce à la reconnaissance sonore automatique qui permet d’identifier des espèces présentes ainsi que leur nombre.

Traditionnellement, les écologues procèdent à un inventaire des animaux sur un site donné une à deux fois par an, et n’apportent que peu d’informations sur le comportement des espèces et de leurs interactions au cours de la journée. Les informations recueillies par les enregistrements permettent également d’observer l’impact de certaines perturbations (notamment de l’Homme) sur un milieu.

L’impact des bruits d’origine humaine devient même un facteur physique de « fragmentation écologique » qui peut décimer des populations entières proches de sources de bruit notamment des voies de transport terrestres.

Mieux évaluer et analyser ces phénomènes de modification du paysage sonore serait utiles pour les stratégies de conservation de la nature.

A l’instar des trames vertes et bleues dans les milieux urbains, des trames blanches sont évoquées par l’Institut de l’Ecologie et de l’Environnement de la ville de Paris afin de former des continuités écologiques silencieuses et lutter contre la conquête du bruit ; le Ministère de la transition Ecologique et Solidaire a également publié un guide méthodologique relatif à la lutte contre le bruit sous-marin ; l’identification et la préservation des zones calmes fait partie du Plan de Prévention du Bruit dans l’Environnement (PPBE) ; et de nombreuses autre initiatives tendent à se concrétiser.

Une réflexion à poursuivre …

Une douce prise de conscience semble être en bonne voie sur le plan de la pollution sonore aussi bien pour l’Homme que pour l’ensemble des êtres vivants.

Le confinement du printemps de l’année 2020 nous l’a particulièrement bien montré, si le silence semble s’installer en baissant notre pollution sonore, la nature parvient à s’exprimer de plus belle.

Les enjeux de nos futurs paysages sonores restent encore à parfaire, mais la réduction de nos émissions polluantes notamment sonores reste une réponse pour redéfinir nos paysages et lutter contre le changement climatique.

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La prise en compte du confort acoustique nous amène à considérer avec plus d’attention les espaces sonores, réponse à bien des enjeux actuels et futurs auxquels nous devons faire face.

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